mardi 20 juin 2017

Si la distribution gère le bio

 En l'espace d'une dizaine d'années, l'agriculture biologique a été plébiscitée par les paysans et les consommateurs. Bien qu'elle soit restée le parent pauvre de la politique agricole commune avec des aides marginales, le nombre de paysans qui se lance dans la bio explose littéralement. Les ventes augmentent de plus de 15 % par an en Allemagne ou en France. C'est lorsqu'une politique publique fonctionne qu'il devient urgent de la réformer et c'est le cas avec l'agriculture biologique qui est le seul secteur agricole et alimentaire qui a le vent en poupe. Dacian Ciolos, Commissaire européen en charge de l'Agriculture de 2009 à 2014, était parfaitement conscient de cette mutation en profondeur de l'agriculture et de la consommation en Europe. Son souhait en 2013 lorsqu'il présenta son projet de réforme était clair: générer un cadre européen cohérent capable d'empêcher les fraudes futures tout en facilitant le développement de l'agriculture biologique dans tous les pays de l'Europe. Mais l'engouement pour la bio porte en effet les germes potentiels de son affaiblissement. En quelques années, ce secteur a connu une mutation en profondeur. Les industriels de la transformation et les grandes surfaces généralistes ont flairé l'aubaine. Ces acteurs de la dernière heure organisent dans l'ombre un travail de sape. Plutôt que de soutenir la production biologique en Europe, un nombre de plus en plus important d'entre eux se tournent vers les importations en provenance de pays tiers dont les cahiers des charges sont moins stricts que ceux appliqués ici. Les consommateurs veulent des produits bio sans résidus de pesticides. D'accord, mais la question de la responsabilité est évacuée du débat. Si le paysan bio a triché, il doit être sanctionné comme cela a toujours été le cas. Si sa récolte a été contaminée par les épandages de pesticides réalisés par ces voisins sur leur champ, dans ce cas même si il est impossible de savoir avec certitude d'où vient la pollution, il doit recevoir une compensation pour sa perte financière. Rappelons que 90% des pollutions ne viennent pas des champs des paysans mais de la chaine alimentaire. Le contrôle dans les camions, les silos à blé, et chez les transformateurs est parfois laxiste. Le principe « pollueur payeur » doit être appliqué à la lettre. Cette question est donc simple à régler. Pour autant, la bio ne se réduit pas à "0 pesticides dans mon assiette". Elle concerne des conditions de travail équitable, des prix corrects, une amélioration considérable du bien-être animale, une autonomie des fermes. L'agriculture biologique ce n'est pas l'agriculture industrielle sans pesticides. Le développement de l'agriculture bio en Europe passe par la mise en place d'un marché des semences biologiques. Aujourd'hui, on impose aux paysans de se rabattre sur des variétés hybrides conçues par l'industrie et pour l'agriculture industrielle. Ces Formules 1 sont-elles adaptées pour les chemins de campagne ? Nous militons pour la mise en place progressive d'une filière de semences 100 % bio. Face à nous de nouveau Monsanto, Bayer et Limagrain qui veulent continuer à jouir du monopole qu'ils ont réussi à imposer ces dernières décennies. Cette réforme exige un contrôle strict sur les importations européennes, ce que les importateurs et la grande distribution ne veulent pas voir se mettre en place. Ils préfèrent s'approvisionner sur les marchés extérieurs parce que c'est moins cher et moins contrôlé. L'Europe est importatrice nette de produits bio. Va-t-on continuer dans cette voie ou enfin, prendre les moyens de faire décoller enfin l'agriculture bio dans les états membres, en finançant les conversions, en la protégeant des contaminations ? Renforcement des contrôles sur les importations de produits bio? Cette fois ci nous avons Carrefour, Casino et leurs confrères européens qui nous mettent des bâtons dans les roues. Importer moins cher et gonfler les marges: la bio est devenue leur poule aux œufs d'or. Ces grands groupes internationaux placent les intérêts de leurs actionnaires avant ceux des consommateurs. La question centrale est la suivant: laisserons-nous la grande distribution dicter sa loi dans l'agriculture biologique? La balle est maintenant dans le camp des ministres de l'agriculture.